lundi 7 avril 2014

Accoucher à domicile, version PapaPoule...



Je ne me rappelle  plus vraiment comment le sujet est venu sur le tapis. Je me rappelle juste que j’ai dû répondre un truc du genre : « -Non mais ça va pas la tête ? Tu veux mourir avec le bébé ou quoi ? ». Peut-être pas aussi violemment. Mais quand même, c’est un peu l’effet que ça m’a fait. Au début. Et puis j’ai ouvert mes oreilles. J’ai discuté avec des mamans que je croise régulièrement. Puis avec Gisèle, Cécile et Marie.
Peu à peu mes appréhensions se sont estompées. Puis ont disparu. Penser à cette future arrivée du bébé m’a aussi fait repenser à ce que j’avais vécu pour Nolan. Un moment merveilleux, mais entaché de petites phrases, de petits moments qui, s’ils n’avaient pas eu lieu, ne m’auraient pas manqué. De la mainmise médicale, et du quasi non choix que nous pouvions opérer pour cet accouchement, ou de ces petites inattentions qui font que de futurs parents super confiants, nous sommes passés à de nouveaux parents complètement perdus car dépossédés de nos capacités, et de notre confiance, mise à mal par une personne en particulier dont la bienveillance, la considération portée au couple serait  comment dire ? …à travailler, avant d’officier auprès de tous jeunes parents. Par exemple quand on nous a dit : (à l’entrée de la salle d’op’ quand ils ont pensé faire une césarienne) « Ah non hein le papa il reste dehors », (ou, plus tard à la maternité)« Ah mais ma petite dame, vous savez que si vous ne choisissez pas un contraceptif très vite, Monsieur va devoir aller voir ailleurs si vous ne voulez pas retomber enceinte ! » ou encore « Ah ben c’est sûr que si vous lui caressez la tête en l’allaitant vous allez l’endormir et c’est évident qu’il ne prendra pas de poids. Vous voulez sortir ou pas ? ». Entre autres.
Je m’en suis peut-être fait toute une histoire, mais étant professionnellement engagé dans des réseaux d’accompagnement, de soutien à la parentalité, et militant pour que tous les parents aient droit à une reconnaissance de leur place et de leurs compétences, ces moments ont eu un écho particulier. Heureusement une fois sortis de la maternité, ces choses sont vite retournées au second plan. Mais pas oubliées. Bref, des petites choses qui, je le savais, n’arriveraient pas à la maison. Mais j’étais encore loin d’imaginer à quel point ce serait différent. Pas mieux. Parce que l’arrivée de Nolan fût elle aussi un moment magique, intense, que je n’oublierai jamais.

Pour cette deuxième grossesse, nous avons abordé les choses différemment. Dans la préparation, tout d’abord, puisque beaucoup plus que pour le Nolan, nous avons été préparés à ce qu’il se passe PENDANT l’accouchement. Chose qui avait été abordé pendant l’haptonomie lors de la première grossesse, mais pas de manière aussi précise. Ces séances, qui par ailleurs m’ont également permis de me rassurer sur mes propres capacités à accompagner Lucie pendant l’accouchement, m’ont tout d’abord permis de comprendre que lors d’une grossesse normale, sans complication ni pathologie particulière, la future maman est complètement capable de savoir ce qu’il se passe, et qu’il suffit de l’écouter pour savoir que tout va bien. Et pas seulement l’échographe. Pour moi, la grossesse a ceci de particulièrement frustrant que je ne peux pas ressentir ni interpréter ce qui se passe dans le corps de Lucie.
Un gémissement : ma réaction (inquiet): « -Ça va ? » Réponse « -mais oui, c’est juste une contraction, calme toi. »
Un gémissement + une grimace : ma réaction (en pensée : ça va c’est surement une contraction, mais quand même inquiet). Lucie : « - La vache, celle-là, elle était costaud ! » (un peu plus inquiet là.)
Un gémissement, mais un autre jour : (Vachement moins inquiet, les gémissements, ça va, c’est normal c’est les contractions, du coup, comme il n’y a pas de grimace, je laisse passer.) Lucie : «  - Tu t’en fous que j’ai mal ? Tu pourrais pas me proposer, je sais pas moi, un massage ou quoi ? ».
En vrai, j’exagère. Mais pas tant. Tout cela pour dire que décrypter sans ressentir est quasi impossible. Mais la préparation aide à comprendre tout ça, et à l’accepter, comme étant de fait quelque chose qui arrive et qui fondamentalement ne permet pas qu’on le vive sur le même pied d’égalité.  
Elles m’ont permis d’appréhender et de comprendre le passage du bébé de dedans à dehors, et presque même de le ressentir. Elles m’ont permis de comprendre que je pouvais avoir confiance en Lucie. Que quoi qu’il arrive, elle en est capable. Elle est capable d’accompagner ce bébé jusqu’à sa sortie. Et c’est ce qu’elle a fait, en ce 17 Mars 2014.
La journée a commencé comme quelques autres. C’est-à-dire pour moi au moment où les gémissements (avec grimaces) m’ont sorti du sommeil. On s’est regardés, on s’est câlinés, on a discuté, puis on a appelé Cécile car les gémissements + grimaces (systématiques) ont été de plus en plus fréquentes. J’ai réveillé ma mère, en lui disant qu’on allait bientôt descendre. Puis je suis allé prévenir les voisins, en leur proposant de monter prendre le petit déjeuner avec ma mère et Nolan. Et j’ai commencé à descendre les affaires. Lucie avait tout préparé, même une liste de ce qui n’était pas dans les sacs. Pas trop dur pour moi malgré la brume qui a commencé à envahir mon esprit, qui se fixe sur  les heures à venir. Aider Lucie. Ne pas trop réfléchir. La rassurer. On a le sac. On a l’oxygène. Les numéros sont enregistrés dans mon téléphone. Nolan est avec sa grand-mère. L’oxygène est bien là ? Oui c’est bon. Ah, le ballon, on en aura peut-être besoin. « -Ça va Lucie ?
- Les contractions s’espacent…
- On va aller marcher, on savait que ça pouvait arriver, le fait de descendre, de changer d’endroit. »
Alors on va marcher, on continue de discuter, puis on retourne à l’intérieur, car Lucie n’arrive plus à faire 5 mètres sans qu’il y ait une contraction. Et elle est fatiguée.
Je rapproche les alèses, prépare les serviettes, approche une bassine, met l’oxygène et la boite préparée par Cécile et Gisèle bien en vue. Lucie commence à s’endormir. Je passe le temps en jouant sur ma tablette. Je commence à me dire qu’il va falloir que j’aille au boulot, finalement.
PLOP. Je l’ai entendu et presque senti en même temps qu’elle. La poche des eaux est rompue. Cette fois c’est bel et bien parti, alors je rappelle Cécile, tout en me disant que peut-être elles arriveront avec Marie un peu tard pour aider. Et alors ? C’est pas grave, je serai là. Toujours dans cette brume de pensées et cet état un peu second j’essaye de répondre aux attentes de Lucie. Sauf qu’elles sont de moins en moins formulées clairement. Je sens bien que ça lui ferait du bien d’être massée, ou au moins placée dans d’autres positions, mais je ne suis pas assez à l’aise et Lucie refuse que je la touche. Alors je la laisse me broyer les doigts pendant les contractions, et je lui parle, essaye de savoir ce qu’elle ressent, dans les moments où elle arrive à me répondre. Elle est de plus en plus « à l’ouest ». Cécile et Marie arrivent et prennent les choses en main. C’est bien. Je me rends compte que j’étais inquiet même si j’assumais totalement d’être seul avec Lucie. Lucie accepte le contact et les massages de Marie et Cécile et cela semble bien la soulager. C’est parfait, comme ça je reste près d’elle, de son regard, je continue de lui donner la main. Elle est épuisée, alors je l’encourage.
Le bébé a un peu de mal à passer le col, alors Cécile nous prévient qu’on va peut-être devoir descendre à la maternité. Elle me demande de préparer les affaires au cas où.
Une enclume se pose au fond de mon bide. Des nausées et un peu de bile l’accompagnent.
Je monte à la maison chercher le Cosy, quelques affaires pour Lucie, les clés de la voiture et prévenir ma mère, Nolan et les voisins. J’essaye de ne pas laisser paraitre ni mon inquiétude, ni ma déception. Ne serait-ce que pour Nolan.
Je redescends, Cécile décide de donner un petit coup de main au bébé pour passer le col pendant que je me mets en face de Lucie, à genoux, ses bras autour de mon cou. Elle hurle. Mes tympans sifflent. Elle hurle plus fort. Je vois la tête et je le lui dis. Je l’encourage encore. J’ai de la bile au fond de la gorge. Mais je tiens. Je reste en face d’elle. La tête sort puis le reste du corps, j’ai les muscles tellement contractés que lorsqu’il atterrit là, entre nous deux, j’ai l’impression de l’avoir expulsé en même temps que Lucie. Mais sans la douleur, et je le sais. Alors je lui dis toute l’admiration que j’ai pour elle. C’est une guerrière, pour supporter ça, l’assumer, jusqu’au bout.
Manoé nous a montré le bout de son nez. Lucie tremble mais semble se remettre rapidement, elle s’allonge, Manoé près d’elle, pendant que je monte annoncer la nouvelle à Nolan, sa grand-mère et les voisins. Puis les moments s’enchainent : La délivrance, puis le cordon que je coupe, puis la première tétée. Le temps se distend, semble inégal en ce jour particulier, parfois rapide, parfois lent, comme ce premier peau à peau, en attendant que Lucie se douche avec Cécile et Marie.
On remonte à la maison. On est chez nous, dans une impression de continuité bien agréable. On retrouve notre quotidien, qu’on redécouvre à quatre, avec l’aide de ma mère.

Dans les jours qui suivent je suis dans un état d’euphorie hyperactive postpartum qui fait que je n’arrête pas de m’occuper, en bricolant, nettoyant, cuisinant, jouant avec Nolan. Cet état durera presque une semaine.

De cette expérience, j’ai retenu que nous sommes capables d’accueillir un enfant naturellement, et de le faire bien, sans soutien médical obligatoire. Que je peux faire confiance à Lucie pour écouter, comprendre et maitriser son corps, sans qu’on lui dise comment « mieux » faire. Qu’être accompagné pour faire naître un enfant à domicile ce n’est pas prendre des risques inconsidérés, mais bien avoir le choix de vivre ce moment dans des conditions que l’on ne peut obtenir que dans son petit nid douillet. Que même s’il faut partir pour la maternité, l’important est d’avoir été considérés comme capables.

Merci Cécile, Marie et Gisèle, de nous avoir permis de faire ce choix.

5 commentaires:

Rachel a dit…

Bon bah je chiale encore hein! Vous etes relou!!! Bravo encore a vous 2 pour ce courage, pour ce beau bebe!
Et c est quoi la boite preparee par les sages femmes? Bizzz

Unknown a dit…

Super d'avoir lu cette histoire de ton point de vue!
Toujours aussi touchant!
Bravo à vous 2!

Juju a dit…

Z'en avez pas marre de nous faire chialer!!! Vous êtes des héros dans vos choix comme dans vos actes! Encore une fois bravo ! (En tant que professionnelle j'aimerai rencontrer vos sage femmes!!!)

LaMouk77 a dit…

Vous devriez tous les deux écrire un livre pour faire partager votre AVENTURE !
c'est trop beau !

Emma a dit…

C'est trop beau! Merci pour ces recits!!!