Je ne me rappelle plus vraiment comment le sujet est venu sur
le tapis. Je me rappelle juste que j’ai dû répondre un truc du genre : « -Non
mais ça va pas la tête ? Tu veux mourir avec le bébé ou
quoi ? ». Peut-être pas aussi violemment. Mais quand même, c’est un
peu l’effet que ça m’a fait. Au début. Et puis j’ai ouvert mes oreilles. J’ai
discuté avec des mamans que je croise régulièrement. Puis avec Gisèle, Cécile
et Marie.
Peu à peu mes appréhensions se
sont estompées. Puis ont disparu. Penser à cette future arrivée du bébé m’a
aussi fait repenser à ce que j’avais vécu pour Nolan. Un moment merveilleux,
mais entaché de petites phrases, de petits moments qui, s’ils n’avaient pas eu
lieu, ne m’auraient pas manqué. De la mainmise médicale, et du quasi non choix
que nous pouvions opérer pour cet accouchement, ou de ces petites inattentions
qui font que de futurs parents super confiants, nous sommes passés à de
nouveaux parents complètement perdus car dépossédés de nos capacités, et de
notre confiance, mise à mal par une personne en particulier dont la
bienveillance, la considération portée au couple serait comment dire ? …à travailler, avant
d’officier auprès de tous jeunes parents. Par exemple quand on nous a
dit : (à l’entrée de la salle d’op’ quand ils ont pensé faire une
césarienne) « Ah non hein le papa il reste dehors », (ou, plus
tard à la maternité)« Ah mais ma petite dame, vous savez que si vous ne
choisissez pas un contraceptif très vite, Monsieur va devoir aller voir
ailleurs si vous ne voulez pas retomber enceinte ! » ou encore « Ah
ben c’est sûr que si vous lui caressez la tête en l’allaitant vous allez l’endormir
et c’est évident qu’il ne prendra pas de poids. Vous voulez sortir ou pas ? ».
Entre autres.
Je m’en suis peut-être fait
toute une histoire, mais étant professionnellement engagé dans des réseaux
d’accompagnement, de soutien à la parentalité, et militant pour que tous les
parents aient droit à une reconnaissance de leur place et de leurs compétences,
ces moments ont eu un écho particulier. Heureusement une fois sortis de la
maternité, ces choses sont vite retournées au second plan. Mais pas oubliées. Bref,
des petites choses qui, je le savais, n’arriveraient pas à la maison. Mais
j’étais encore loin d’imaginer à quel point ce serait différent. Pas mieux.
Parce que l’arrivée de Nolan fût elle aussi un moment magique, intense, que je
n’oublierai jamais.
Pour cette deuxième grossesse,
nous avons abordé les choses différemment. Dans la préparation, tout d’abord,
puisque beaucoup plus que pour le Nolan, nous avons été préparés à ce qu’il se
passe PENDANT l’accouchement. Chose qui avait été abordé pendant l’haptonomie
lors de la première grossesse, mais pas de manière aussi précise. Ces séances,
qui par ailleurs m’ont également permis de me rassurer sur mes propres
capacités à accompagner Lucie pendant l’accouchement, m’ont tout d’abord permis
de comprendre que lors d’une grossesse normale, sans complication ni pathologie
particulière, la future maman est complètement capable de savoir ce qu’il se
passe, et qu’il suffit de l’écouter pour savoir que tout va bien. Et pas
seulement l’échographe. Pour moi, la grossesse a ceci de particulièrement
frustrant que je ne peux pas ressentir ni interpréter ce qui se passe dans le
corps de Lucie.
Un gémissement : ma réaction (inquiet):
« -Ça va ? » Réponse « -mais oui, c’est juste une
contraction, calme toi. »
Un gémissement + une grimace : ma
réaction (en pensée : ça va c’est surement une contraction, mais
quand même inquiet). Lucie : « - La vache, celle-là, elle était
costaud ! » (un peu plus inquiet là.)
Un gémissement, mais un autre
jour : (Vachement moins inquiet, les gémissements, ça va, c’est normal
c’est les contractions, du coup, comme il n’y a pas de grimace, je laisse
passer.) Lucie : « - Tu t’en fous que j’ai mal ? Tu pourrais
pas me proposer, je sais pas moi, un massage ou quoi ? ».
En vrai, j’exagère. Mais pas
tant. Tout cela pour dire que décrypter sans ressentir est quasi impossible.
Mais la préparation aide à comprendre tout ça, et à l’accepter, comme étant de
fait quelque chose qui arrive et qui fondamentalement ne permet pas qu’on le
vive sur le même pied d’égalité.
Elles m’ont permis d’appréhender
et de comprendre le passage du bébé de dedans à dehors, et presque même de le
ressentir. Elles m’ont permis de comprendre que je pouvais avoir confiance en
Lucie. Que quoi qu’il arrive, elle en est capable. Elle est capable
d’accompagner ce bébé jusqu’à sa sortie. Et c’est ce qu’elle a fait, en ce 17
Mars 2014.
La journée a commencé comme
quelques autres. C’est-à-dire pour moi au moment où les gémissements (avec
grimaces) m’ont sorti du sommeil. On s’est regardés, on s’est câlinés, on a
discuté, puis on a appelé Cécile car les gémissements + grimaces
(systématiques) ont été de plus en plus fréquentes. J’ai réveillé ma mère, en
lui disant qu’on allait bientôt descendre. Puis je suis allé prévenir les voisins,
en leur proposant de monter prendre le petit déjeuner avec ma mère et Nolan. Et
j’ai commencé à descendre les affaires. Lucie avait tout préparé, même une
liste de ce qui n’était pas dans les sacs. Pas trop dur pour moi malgré la
brume qui a commencé à envahir mon esprit, qui se fixe sur les heures à venir. Aider Lucie. Ne pas trop
réfléchir. La rassurer. On a le sac. On a l’oxygène. Les numéros sont
enregistrés dans mon téléphone. Nolan est avec sa grand-mère. L’oxygène est
bien là ? Oui c’est bon. Ah, le ballon, on en aura peut-être besoin.
« -Ça va Lucie ?
- Les contractions s’espacent…
- On va aller marcher, on savait que ça pouvait
arriver, le fait de descendre, de changer d’endroit. »
Alors on va marcher, on continue de discuter, puis
on retourne à l’intérieur, car Lucie n’arrive plus à faire 5 mètres sans qu’il
y ait une contraction. Et elle est fatiguée.
Je rapproche les alèses, prépare les serviettes,
approche une bassine, met l’oxygène et la boite préparée par Cécile et Gisèle
bien en vue. Lucie commence à s’endormir. Je passe le temps en jouant sur ma
tablette. Je commence à me dire qu’il va falloir que j’aille au boulot,
finalement.
PLOP. Je l’ai entendu et presque
senti en même temps qu’elle. La poche des eaux est rompue. Cette fois c’est bel
et bien parti, alors je rappelle Cécile, tout en me disant que peut-être elles
arriveront avec Marie un peu tard pour aider. Et alors ? C’est pas grave,
je serai là. Toujours dans cette brume de pensées et cet état un peu second
j’essaye de répondre aux attentes de Lucie. Sauf qu’elles sont de moins en
moins formulées clairement. Je sens bien que ça lui ferait du bien d’être
massée, ou au moins placée dans d’autres positions, mais je ne suis pas assez à
l’aise et Lucie refuse que je la touche. Alors je la laisse me broyer les
doigts pendant les contractions, et je lui parle, essaye de savoir ce qu’elle
ressent, dans les moments où elle arrive à me répondre. Elle est de plus en
plus « à l’ouest ». Cécile et Marie arrivent et prennent les choses
en main. C’est bien. Je me rends compte que j’étais inquiet même si j’assumais
totalement d’être seul avec Lucie. Lucie accepte le contact et les massages de
Marie et Cécile et cela semble bien la soulager. C’est parfait, comme ça je
reste près d’elle, de son regard, je continue de lui donner la main. Elle est
épuisée, alors je l’encourage.
Le bébé a un peu de mal à passer
le col, alors Cécile nous prévient qu’on va peut-être devoir descendre à la
maternité. Elle me demande de préparer les affaires au cas où.
Une enclume se pose au fond de
mon bide. Des nausées et un peu de bile l’accompagnent.
Je monte à la maison chercher le
Cosy, quelques affaires pour Lucie, les clés de la voiture et prévenir ma mère,
Nolan et les voisins. J’essaye de ne pas laisser paraitre ni mon inquiétude, ni
ma déception. Ne serait-ce que pour Nolan.
Je redescends, Cécile décide de donner
un petit coup de main au bébé pour passer le col pendant que je me mets en face
de Lucie, à genoux, ses bras autour de mon cou. Elle hurle. Mes tympans sifflent.
Elle hurle plus fort. Je vois la tête et je le lui dis. Je l’encourage encore.
J’ai de la bile au fond de la gorge. Mais je tiens. Je reste en face d’elle. La
tête sort puis le reste du corps, j’ai les muscles tellement contractés que
lorsqu’il atterrit là, entre nous deux, j’ai l’impression de l’avoir expulsé en
même temps que Lucie. Mais sans la douleur, et je le sais. Alors je lui dis
toute l’admiration que j’ai pour elle. C’est une guerrière, pour supporter ça,
l’assumer, jusqu’au bout.
Manoé nous a montré le bout de
son nez. Lucie tremble mais semble se remettre rapidement, elle s’allonge,
Manoé près d’elle, pendant que je monte annoncer la nouvelle à Nolan, sa
grand-mère et les voisins. Puis les moments s’enchainent : La délivrance,
puis le cordon que je coupe, puis la première tétée. Le temps se distend,
semble inégal en ce jour particulier, parfois rapide, parfois lent, comme ce
premier peau à peau, en attendant que Lucie se douche avec Cécile et Marie.
On remonte à la maison. On est
chez nous, dans une impression de continuité bien agréable. On retrouve notre
quotidien, qu’on redécouvre à quatre, avec l’aide de ma mère.
Dans les jours qui suivent je
suis dans un état d’euphorie hyperactive postpartum qui fait que je n’arrête
pas de m’occuper, en bricolant, nettoyant, cuisinant, jouant avec Nolan. Cet
état durera presque une semaine.
De cette expérience, j’ai retenu
que nous sommes capables d’accueillir un enfant naturellement, et de le faire
bien, sans soutien médical obligatoire. Que je peux faire confiance à Lucie
pour écouter, comprendre et maitriser son corps, sans qu’on lui dise comment
« mieux » faire. Qu’être accompagné pour faire naître un enfant à
domicile ce n’est pas prendre des risques inconsidérés, mais bien avoir le
choix de vivre ce moment dans des conditions que l’on ne peut obtenir que dans
son petit nid douillet. Que même s’il faut partir pour la maternité,
l’important est d’avoir été considérés comme capables.
5 commentaires:
Bon bah je chiale encore hein! Vous etes relou!!! Bravo encore a vous 2 pour ce courage, pour ce beau bebe!
Et c est quoi la boite preparee par les sages femmes? Bizzz
Super d'avoir lu cette histoire de ton point de vue!
Toujours aussi touchant!
Bravo à vous 2!
Z'en avez pas marre de nous faire chialer!!! Vous êtes des héros dans vos choix comme dans vos actes! Encore une fois bravo ! (En tant que professionnelle j'aimerai rencontrer vos sage femmes!!!)
Vous devriez tous les deux écrire un livre pour faire partager votre AVENTURE !
c'est trop beau !
C'est trop beau! Merci pour ces recits!!!
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